COVID, après l’état d’urgence
Silence. Nuit. Hymne nationale à peine finie. Drapeau flottant encore à l’écran. Fraicheur des propos encore vive. Un chien aboie, signe que la vie reprend. Elle reprend, crescendo, même les moteurs de véhicules peuvent vrombir. Sous le silence la ville suffoquait, le kinois s’étouffait. Il était temps. Temps de savourer une bière fraîche et dans tout Kin il n’y a qu’un seul lieu où l’on peut savourer chaleureusement une bonne bière fraîche: le bar. Comme une église sans Dieu, Kin sans bar n’est qu’illusion urbaine. Kin médite la bière jour et nuit; jour et nuit, sur l’avenue Nyagwe, humant les pets de la viande grillée, à Bandal, dégustant un poulet-mayo, à Kapela où elle humidifie les lèvres dans l’attente d’un porc bouilli. Jour et nuit, dans un bar sous la voix incroyable de Ferre Gola.
La fin de l’état d’urgence n’est pas la bonne nouvelle, non, à Kin l’Etat n’est pas une urgence, il est juste une raison de se faire dépouiller sans rouspéter et ça ne vaut pas de se demander ce qu’est l’Etat. Ceux qui affirment que l’Etat est à la fois personne et tout le monde ont tort. L’Etat est une bière. L’urgence Covid passera, la bière restera. Cache-nez et masques disparaîtront, la bière survivra. Maintenant les bars rouvrent, la musique se trémousse, les tables s’ornent : vive la bière. Santé!
Auralgraph: COVID – After The State Of Emergency, Kinshasa, DRC, 2020. © Merdi Mukore.
Silence. Night. Barely finished national anthem. Flag still fluttering on-screen. Freshness of the remarks still alive. A dog barks, a sign that life is resuming. It returns, crescendoing, vehicle engines roar. Under the silence the city was suffocating, the Kinois suffocated. It was time. Time to enjoy a cold beer and in all of Kin there is only one place where you can warmly enjoy a good cold beer: the bar. Like a church without God, Kin without a bar is an urban illusion. Kin meditates on beer day and night; day and night: on Nyagwe Avenue, sniffing the farts of grilled meat; in Bandal, enjoying a chicken-mayo; in Kapela where she moistens her lips while waiting for boiled pork. Day and night: in a bar under the incredible voice of Ferre Gola. The end of the state of emergency is not the good news, no, in Kin the state is not an emergency, it is just a reason to be robbed without complaining and it’s not worth wondering who is the state. Those who claim the state is both nobody and everyone are wrong. The state is a beer. The COVID emergency will pass, the beer will stay. Mufflers and masks will disappear, beer will survive. Now the bars are reopening, the music is roaring, the tables are adorned: long live beer. Cheers!
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Rouler-Jouer
Première banc.
Tu dis quoi? Molière se retournerait dans sa tombe? S’il retourne dans sa tombe, où est le problème? Qui le connait même? Les règles de la grammaire? Ce n’est pas une école ici, c’est un taxi-bus. Je cherche l’argent, pas le temps avec vos histoires compliquées, j’ai un versement à faire et gare à celui qui osera brandir sa carte de mbila. Nino, tu m’entends ? Pas de carte. Hier, je me suis fait prendre par une jeep. Quatre-vingt mille francs partis cadeau, le versement de toute une journée. Je ne veux pas de faux-têtes aujourd’hui… Hé Nino ! Au prochain tour tu prends l’argent avant d’embarquer quelqu’un, compris ? tu sais pour exceller dans ce métier faut être kasa-kasa, plus dynamique que le dynamisme incarné. Nino, tu m’entends ? Un receveur malili-malili n’existe pas. Tu dois savoir tenir tête à des clients qui pensent voyager en première classe d’Air France, à des roulages qui nous voient en banque roulante et à des chauffeurs qui se croient plus malin que le diable. Faut être éveillé, olali balali yo tu comprends ? Les routes de Kin forment un ring où l’arbitre tient une machette. Allez, mbongo esili valeur, tout le monde descend.
Auralgraph: Rouler-Jouer, Kinshasa, DRC, 2020. © Merdi Mukore.
First bench.
What are you saying? Molière would turn around in his grave? What if he does? Would that be a problem? Do people even know him? Grammar rules? It’s not a school here, it’s a bus. I’m looking for money, no time for your complicated stories. I have a payment to make. and beware anyone who dares to wave their mbila’s card. Nino, can you hear me? No card. Yesterday I got arrested by a jeep. Eighty thousand francs, offered like a gift, a whole day’s wage. I don’t want faux-tetes today. Hey Nino! On the next round make sure you take the money before people board the bus, understood? You know, to excel in this job you have to be kasa-kasa, more dynamic than dynamism itself. Nino, can you hear me? A Malili-Malili conductor does not exist. You have to know how to stand up to customers who think they are traveling first class with Air France, to the traffic police who see us as mobile banks and to drivers who think they are smarter than the devil. Must be awake, “olali balali yo” do you understand? Kinshasa’s roads are like a ring with a referee holding a machete. Come on now, “mbongo esili valeur”, everyone alights here, the bus has reached its destination.
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Rond-Point Ngaba
Ngaba. Appelez-moi Rond-point Ngaba. Je suis un carrefour multiservices, bien qu’à la base je ne sois qu’un rond sur un point. Disons, j’aime voir les choses sous le prisme du likonda, le fric. Nul ne passe par moi sans faire attention à son portemonnaie. Chacun ses opportunités et le business pour tous. Il faut prendre de la graine à ce sans intérêt de Cache-nez, il fait aujourd’hui la fortune de plusieurs. Il faut admettre qu’il a trouvé la couronne idéale, virus efficace qui a redonné du tonus à sa carrière internationale. Des sans-lobi, vagabonds comme fut Cache-nez, j’en gère un max. ils viennent chercher un prix à leur existence chez moi. Ils sont comme moi, multitâches. Votre langue s’ennuie ? ils vous vendent de l’eau pire, des beignets, fruits, chocolat. Besoin d’un taxi ou une moto ? leurs cris vous indiquent les destinations disponibles. Un téléphone qui ne sait se tenir dans votre poche ou une perruque trop top pour votre tête ? ils vous en débarrassent sans frais. Mes travailleurs ont l’ouïe du fric comme tous ceux qui fréquentent les ronds-points de Kinshasa. Mes collègues et moi ne lésinons pas sur la formation de notre personnel. Une réputation s’entretient. Rassurez-vous, cette ambiance de sûreté ne peut être un cauchemar.
Auralgraph: Rond-Point Ngaba, DRC, 2020. © Merdi Mukore.
Ngaba. Call me Ngaba Roundabout. I am a multi-service junction. Basically I am just a roundabout. Say, I like to see things through the prism of likonda, the dough. No one passes by me without paying attention to their wallet. Everyone has their own opportunities and there is business for everyone. Seeds need to be taken from this uninteresting Muffler, it is now making the fortune of many. Admittedly, he found the ideal crown, an effective virus that has given a boost to his international career. Sans-lobi, vagabonds as was Cache-nez, I manage a lot. They come to seek a price for their existence with me. They are like me: multitasking. Is your tongue bored? They sell you worse water, doughnuts, fruit, chocolate. Need a taxi or a motorbike? Their cries tell you which destinations are available. A phone that can’t fit in your pocket or a wig that’s too big for your head? They get rid of it for you free of charge. My workers can hear money like all those who frequent the roundabouts of Kinshasa. My colleagues and I do not skimp on the training of our staff. A reputation is maintained. Rest assured, this atmosphere of safety can’t be a nightmare.
Merdi Mukore is a young Congolese writer. A lawyer by training, he writes plays, scripts, and short stories. He writes in French and his texts have been translated in Swahili, English, Spanish, and Portuguese. He takes part in many writing workshops and residencies organized by “Le Tarmac des Auteurs”, the Writivism Workshop and Afro Young Adult. His others texts have been published in international literary reviews such Lelo Magazine, WIP Littérature Sans Filtre, and Periferias.